L’impact contractuel du Coronavirus – COVID 19

19 mars 2020

Le Coronavirus menace la santé financière voire la survie de nombreuses Entreprises.

Les autorités ont d’ores et déjà annoncé différentes mesures de soutien :

– Délais de paiement d’échéances sociales et/ou fiscales (URSSAF, impôts) ;

– Remises d’impôts directs dans le cadre d’un examen individualisé des demandes ;

– Soutien de l’Etat et de la Banque de France (médiation du crédit) dans le cadre de négociations pour le rééchelonnement des crédits bancaires ;

– Mobilisation de BPI France pour garantir des lignes de trésorerie bancaires ;

– Maintien de l’emploi avec un dispositif de chômage partiel simplifié et renforcé ;

– Appui au traitement des conflits clients / fournisseurs par le Médiateur des entreprises ;

– Reconnaissance dans le cadre de marchés publics de ce que le Coronavirus constitue un cas de force majeure exonératoire de pénalités de retard ;

– Possible suspension du paiement des loyers pendant la durée du confinement.

 

En complément de ces mesures, les Entreprises ont intérêt à mettre en œuvre les mécanismes leur permettant (1) l’exonération de leurs obligations contractuelles, (2) la réduction de ces obligations, et (3) l’indemnisation de leurs pertes financières.

 

1. L’exonération des obligations contractuelles du fait de la « force majeure »

 

La survenance d’un événement de force majeure libère par principe les contractants de leurs obligations.

 

L’article 1218 al.1 du code civil définit la force majeure contractuelle comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

 

Cette définition tend à intégrer les trois caractéristiques classiques de l’événement constitutif de « force majeure » : son irrésistibilité, son extériorité et son imprévisibilité.

 

Cependant, la jurisprudence a largement assoupli les deux derniers critères. Ainsi, « l’événement échappant au contrôle du débiteur » n’est pas limité aux seuls événements parfaitement extérieurs à l’entreprise. De plus, la prévisibilité a vocation, en pratique, à être appréciée en lien avec l’irrésistibilité. En effet, le critère de la « prévision raisonnable » n’a d’utilité que pour autant qu’il permet d’éviter la survenance de l’événement : lorsque la prévision d’un événement ne permet pas d’en empêcher les effets, la jurisprudence contemporaine a tendance à reconnaître la situation de force majeure.

 

En pratique, c’est donc à l’aune du critère de l’irrésistibilité qu’il convient de déterminer si l’épidémie de Coronavirus constitue ou non une situation de force majeure.

 

Si une épidémie n’est pas par elle-même constitutive de force majeure, un consensus se dessine pour reconnaître un caractère irrésistible aux conséquences actuelles du Coronavirus, matérialisées par les différentes atteintes aux libertés et droits fondamentaux (de commerce, circulation, réunion…) imposées par les autorités publiques pour lutter contre la propagation du Coronavirus.

 

Cette qualification de force majeure a été expressément donnée par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, le 28 février 2020 et implicitement reconnue par le chef de l’Etat dans son allocution du 17 mars 2020, lorsqu’il a envisagé la suspension du paiement des loyers et de différentes factures (« Les factures d’eau, de gaz, ou d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus »).

 

En effet, en cas de force majeure, l’article 1218 al.2 précise que « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.[1] »

 

Ainsi, est-il raisonnable de considérer que les Entreprises dont l’activité est perturbée par le Coronavirus peuvent :

– n’exécuter que partiellement leurs obligations, lorsque l’empêchement n’est que partiel ;

– suspendre l’exécution de leurs obligations, quand l’empêchement est total mais temporaire ;

– mettre en œuvre le processus de résolution / résiliation du contrat, quand l’empêchement est total et définitif.

 

Cependant, dans la matière contractuelle, le régime juridique de la force majeure n’est pas d’ordre public, ce qui conduit à réserver l’hypothèse de contrats dans lesquels les parties sont convenues que le débiteur d’une obligation contractuelle ne pourrait invoquer utilement la situation de force majeure. Dans une telle hypothèse, il s’agit alors d’apprécier la réalité et la portée de l’engagement du débiteur et déterminer au cas par cas si un tel engagement intègre ou non le risque du Coronavirus.

 

2. La réduction des obligations contractuelles du fait de « l’imprévision »

 

Certaines situations contractuelles dans lesquelles l’exécution de l’obligation n’est pas rendue impossible par l’événement, mais seulement plus difficile, peuvent ne pas être éligibles à la qualification de force majeure.

 

Par ailleurs, il est admis que des débiteurs d’obligations de sommes d’argent ne peuvent pas toujours invoquer leurs difficultés financières résultant d’un événement de force majeure, considérant que l’exécution de leur obligation n’est pas impossible.

 

Dans ce type de situation où la force majeure ne pourrait être utilement invoquée, les entreprises peuvent néanmoins invoquer la situation d’« imprévision » provoquée par le Coronavirus pour renégocier leurs obligations contractuelles dans les conditions de l’article 1195 du code civil.

 

Cet article autorise en effet les entreprises à contraindre leur partenaire contractuel à renégocier le contrat lorsque « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ».

 

Le texte précise que pendant la négociation, le débiteur est en principe tenu d’exécuter ses obligations. A défaut d’accord entre les parties, « le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

 

Les entreprises qui ne peuvent invoquer la force majeure peuvent renégocier leurs contrats et, notamment, de convenir d’une suspension de leurs obligations pendant la durée du confinement. A l’heure actuelle où les tribunaux sont fermés, il ne peut cependant être espéré une révision judiciaire des contrats à court terme.

 

3. L’indemnisation des pertes financières par l’assurance

 

La qualification de « guerre » ou « guerre sanitaire » employée par le Président de la République dans son allocution du 16 mars 2020 ne doit pas tromper au regard des contrats d’assurance. Le Coronavirus n’est pas assimilable au risque de « guerre » (au sens de conflit armé), dont les conséquences sont par principe exclues des couvertures d’assurance. Ainsi, l’épidémie de Coronavirus doit être considérée comme techniquement assurable / ré-assurable.

 

Il est donc légitime que les Entreprises vérifient si leurs couvertures d’assurance peuvent être déclenchées pour couvrir leurs pertes, c’est-à-dire si l’épidémie actuelle de Coronavirus entre ou non dans le périmètre de leurs garanties (en particulier les assurances de pertes financières et assurances d’annulation) et dans l’affirmative si une clause d’exclusion leur est opposable.

 

Les polices d’assurance peuvent être rédigées de différentes manières : certaines ne couvrent que des événements limitativement énumérés (polices dites à « périls dénommés »), d’autres ont vocation à couvrir une catégorie illimitée d’événements à l’exclusion de ceux limitativement énumérés (polices dites « tous risques sauf »).

 

Les assurances couvrant les pertes financières des Entreprises (garantie des pertes d’exploitation / garanties « carence fournisseur ») sont souvent rédigées sous la forme de « périls dénommés ». Même si certains assureurs n’entendent pas couvrir l’épidémie, il est prévisible que des Entreprises chercheront à interpréter de manière extensive les termes de la Police pour faire entrer le Coronavirus dans le périmètre garanti.

 

De plus, le fait qu’une police (par ex une assurance annulation) comporte une exclusion susceptible de s’appliquer au Coronavirus n’est pas non plus la garantie de la libération de l’assureur. Il est en effet prévisible que des Entreprises chercheront à contester la clause si celle-ci ne répond pas parfaitement au strict formalisme imposé par le code des assurances et la jurisprudence (notamment au regard de son caractère « formel et limité »). Et dans un tel cas, des Entreprises pourraient utilement prétendre à l’inopposabilité à leur égard d’une clause d’exclusion affectée d’un vice de rédaction (ce qui est le cas lorsqu’elle est simplement susceptible d’interprétation).

 

Ainsi, une analyse in concreto doit être faite afin de déterminer, garantie par garantie, dans quelle mesure les polices actuellement souscrites par les Entreprises peuvent couvrir les conséquences du Coronavirus.

 

Enfin, le fait que le Coronavirus puisse constituer un cas de force majeure ne suffit pas à libérer l’assureur de son obligation de règlement des sinistres, puisqu’il s’agit d’une obligation de somme d’argent dont l’exécution n’est pas rendue impossible par le Coronavirus. En revanche, il n’est pas exclu que des Assureurs puissent chercher à invoquer l’imprévision pour chercher à limiter l’étendue de leurs obligations, en excipant du caractère systémique de la crise du Coronavirus. Même si l’éligibilité des assureurs à l’article 1195 est discutée [la nature aléatoire de l’assurance implique-t-elle la présomption irréfragable que l’assureur a accepté le risque de circonstances imprévisibles ?], il peut être anticipé que des Assureurs appelés à indemniser les conséquences du Coronavirus cherchent à transiger le montant de l’indemnité à verser, c’est-à-dire en pratique à renégocier le montant de leur obligation de règlement.

 

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à nous contacter.

Franck POINDESSAULT / Antoine BEAUQUIER

[1] L’article 1351 Code civil précise que : « L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure. »

L’article 1351-1 Code civil prévoit que : « Lorsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée. Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »